La broderie : quelques mots pour une histoire millénaire

Merci à Léa R., Historienne, pour ces quelques mots…

« Sous leurs doigts, de longs fils d’or s’unissent à la laine »

Ovide, Les Métamorphoses, Chant IV.

Dans la mythologie :

Art d’embellissement des tissus associé à la pratique du tissage, la broderie existe dès l’Antiquité et elle apparaît ponctuellement dans la mythologie et dans les grands récits : « Et, dans sa haute demeure fermée, elle tissait une toile double, splendide et ornée de fleurs variées » est-il écrit au sujet d’Andromaque, épouse d’Hector, dans l’Iliade d’Homère. La broderie se décline également dans la mythologie autour de la figure d’Arachné, jeune femme incarnant la perfection dans l’art du tissage, transformée en araignée par sa concurrente dans ce domaine selon les Métamorphoses d’Ovide. Ces traces mythologiques témoignent du caractère ancestral de la broderie, inventée en vue de magnifier et d’embellir les tissus.

La broderie dans le monde :

La broderie est un art existant dans diverses régions du monde dans des périodes très anciennes, non seulement dans les régions grecques, notamment en Inde, en Egypte ou en Chine où se développe la broderie sur soie. En Chine, déjà existante vers le IIe millénaire, la broderie est considérée comme un art raffiné marqueur d’un statut social. La broderie Xiang fait partie des broderies chinoises antiques : plusieurs objets brodés ont été retrouvés dans la nécropole des Han à Mawangdui (IIe siècle a.-v. J-C.). Pratique partagée à l’échelle mondiale, la broderie rend compte d’un savoir-faire, d’un art des civilisations antiques.

Dès le Ve siècle, les productions byzantines acquièrent une renommée importante dans le domaine textile, et notamment dans le tissage et la teinture. La soie, matière de prédilection pour la broderie d’ornement, provient de Perse, jusqu’à l’import de vers à soie depuis la Chine : les étoffes de soie brochées sont la production la plus importante de l’empire byzantin, sans pour autant que les techniques de broderie soient abandonnées. Constantinople s’affirme comme le premier lieu de production de soie en Méditerranée et devient un centre de tissage et de broderie renommé entre le VIIIe et le Xe siècle, puis cette ville se spécialise dans les broderies d’or et les habits religieux jusqu’à la moitié du XVe siècle. L’Asie, l’Egypte et l’Empire byzantin ayant le monopole sur la production des étoffes brochées, l’art textile européen utilise uniquement la broderie comme technique d’ornement des tissus.

La broderie au moyen-âge :

Dans l’Occident médiéval, la broderie connaît un développement considérable par le catholicisme qui recourt à cette technique pour l’ornementation des bâtiments religieux, notamment en France et en Italie : la broderie devient un apparat du catholicisme et des pouvoirs royaux, militaires et princiers. La tapisserie de Bayeux réalisée en 1066 est un symbole de la broderie médiévale occidentale. Dans les régions germaniques et autrichiennes, la broderie est fabriquée majoritairement dans les abbayes. Ce n’est qu’à l’époque gothique que des brodeurs professionnels s’installent dans les principales villes. La production anglaise, dite opus anglicanum puis « façon d’Angleterre », occupe la première place en Europe à cette période. L’opus anglicanum caractérise une broderie sur soie et pouvant être associée à de la joaillerie ou de fils d’or, qui orne principalement les décorations religieuses entre le XIe et le XIVe siècle : elle se diffuse dans toute l’Europe et devient la façon la plus répandue de broder en Europe. Des grands ateliers existent, notamment à Londres, témoignant d’une professionnalisation de l’art de broder. De même, en France, la broderie devient une profession par la création d’un corps de métier au XIIIe siècle : le corps des brodeurs s’organise à Paris en 1272. Ainsi, la broderie peut être soit pratiquée à domicile, dans les couvents ou dans des ateliers professionnels. Au même titre que les tisserands, drapiers, teinturiers ou dentellières, les brodeurs-chasubliers œuvrent pour des ornements d’église ou des vêtements, broderies faites à l’aiguille et composée de fil d’or, d’argent et de soie.

En France :

A partir du XIVe siècle en France, la broderie connaît un véritable essor dans son usage, en n’étant plus seulement l’apanage des pouvoirs ecclésiastiques et royaux : les vêtements et accessoires ainsi que les tissus et tentures d’ornement pour les chambres sont désormais brodés. Se développent également les « peintures à l’aguille » : la broderie se rapproche de plus en plus de la peinture en raison de la finesse du décor. La période de la Renaissance est marquée par un développement de l’usage du point de croix en Europe. La broderie est aussi une question de goût vestimentaire et décoratif, qui reste dominant en France et en Italie au moins jusqu’au XVIe siècle. Au XVe siècle, la broderie blanche se développe en Europe et les fabriques d’étoffes brochées sont de plus en plus nombreuses dans la péninsule italienne : Venise, Gênes et Milan deviennent progressivement des centres de fabrication renommés à l’échelle de l’Europe. La broderie devient un objet commun au XVIe siècle pour deux raisons : l’essor des fabriques participant à l’augmentation du commerce et la création de l’aiguille en acier qui contribue à accroître la pratique domestique. En Europe, elles proviennent majoritairement d’Italie.

En France, la région alsacienne est spécialisée dans la broderie en point natté ou de croix, notamment avec du fil rouge du Rhin depuis le XVIe siècle. Ce n’est qu’au milieu du XVIIIe siècle que Paris et Lyon débutent leur production de broderie. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, les « broderies d’Alger », aux motifs en fil de soie rouge et bleu, prennent une ampleur considérable et sont influencées par les productions turques en raison de la domination ottomane à cette période. L’Inde produit des imprimés et des broderies pour l’Europe dès le XVIIe siècle : la production indienne du siècle suivant est marquée par l’utilisation décors chinois, aux motifs traditionnels moghol, perse et hindou. En Europe, on assiste à un changement de style au XVIIIe siècle marqué par une complexification des dessins, qui deviennent plus réalistes, notamment par la broderie de paysage. C’est en 1770 que le premier livre technique est publié, à savoir L’Art du brodeur par Charles-Germain de Saint-Aubin. A cette période, la Suisse acquiert également un nouveau centre prestigieux de broderies blanches, à Appenzell près de Saint Gall, dont la manufacture reste manuelle jusqu’au milieu du XIXe siècle.

En France, la Révolution française marque un changement dans l’utilisation de la broderie qui n’est plus réservée aux élites sociales : par exemple, les costumes populaires normands et les coiffes régionales commencent à être brodés à la toute fin du XVIIIe siècle. En Grèce, la broderie est une activité courante : chaque région a ses propres motifs, surtout pour les costumes, la broderie devenant ainsi un indicateur régional. Le XIXe siècle est marqué par une demande croissante de broderie : on assiste à sa démocratisation, et en même temps à une baisse de la qualité en raison de techniques moins fines mais plus économiques et rapides. La broderie d’abécédaires, qui existe depuis le XVIIe siècle, devient un exercice central et se popularise au XIXe siècle en étant associé à l’apprentissage de la lecture.

Industrialisation des savoir-faire :

Dans un mouvement général d’industrialisation des sociétés européennes au XIXe siècle, la mécanisation de la broderie, permettant une augmentation de la production, est lancée par l’invention de la machine à broder par Josué Heilmann en 1828 à Mulhouse, suivie en 1844 par le dépôt d’un brevet pour une machine à broder au crochet. La machine d’Heilmann est achetée par différents ateliers en France, Allemagne, Suisse et Angleterre, ce qui conduit à la diminution de la pratique artisanale à l’augmentation de la broderie mécanique et industrielle. Cette mécanisation et le développement de l’impression industrielle produit une baisse de l’importation des produits brodés et imprimés d’Inde. A la même période, la pratique artisanale se spécialise dans des objets de luxe, notamment la broderie de Lunéville qui acquiert une renommée importante, par un point de chaînette sur du tulle auquel est intégré paillettes et perles avec un crochet. Ainsi, le XIXe siècle est marqué par une production croissante et à une démocratisation des motifs brodés par la mécanisation, et à l’inverse, à une spécialisation dans le luxe de la broderie manuelle. La couture devient une pratique exclusivement féminine, alors que l’on trouvait beaucoup de brodeurs dans les siècles précédents.

Avec les deux guerres mondiales, l’industrie de la broderie s’essouffle la pratique décline fortement, bien que la broderie continue d’être enseignée aux écolières. Parallèlement les mouvements féministes du XXe siècle délaissent fortement cette activité, considérée comme celle de femmes reléguées à la maison. Cette image de la broderie associée à la femme au foyer se développe d’autant plus avec la création de magazines féminins dédiés à la broderie, comme Le Petit Echo de la Broderie ou Le Journal des Brodeuses : la broderie devient un loisir féminin. La haute couture réinvestit la broderie comme un art, notamment la broderie de Luneville.

La broderie aujourd’hui :

Aujourd’hui, différentes écoles prestigieuses enseignent la broderie d’art, comme l’école Lesage à Paris ou l’Atelier Bizet. La broderie suscite un nouvel attrait, tant pour le prêt-à-porter (il suffit de regarder le nombre de pièces brodées industriellement dans les grandes enseignes !) que comme pratique de loisir. La broderie est réinvestie aussi comme un art féministe, engagé et diffusé sur les réseaux sociaux. La broderie : un luxe, un art et un plaisir au XXIe siècle.

 

Bibliographie indicative

 

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